La LAMal : chronique d’un système qui a mal

À l’occasion de la venue à La Chaux-de-Fonds de notre ancienne Conseillère fédérale, Ruth Dreifuss, afin d’évoquer la LAMal, voici un petit retour sur la jeune mais néanmoins tumultueuse histoire de notre assurance-maladie universelle ainsi qu’une brève analyse de notre système actuel.

Après plus d’un siècle de tergiversations et des décennies de tentatives et de projets avortés, la population suisse adopte, en décembre 1994, la nouvelle loi sur l’assurance-maladie : la LAMal.

C’est un petit oui, à peine 51.4 %, qui reflète certainement le fragile compromis duquel cette réforme est issue. Car il faut bien le rappeler, la LAMal version 1994 n’était pas tout à fait le projet idéal d’assurance sociale universelle et solidaire que le parti socialiste, comme le reste de la gauche, appelait de ses vœux. Malgré tout, ce projet constituait une avancée car il devait permettre de garantir que quiconque vivant dans ce pays ait l’accès financier à des soins de base (définis comme tels par la loi) et de qualité. Pour cela, une assurance obligatoire est mise sur pied. Exit les réserves et autres possibilités d’exclusion que les assurances avaient la possibilité d’opposer sous le régime, facultatif, qui prévalait jusqu’alors.

Cependant, plusieurs ombres planaient déjà sur le tableau. En effet, le financement se fera non pas en tenant compte de la situation socio-économique de l’assuré-e (par un système proportionnel au revenu), mais sur la base d’une prime fixée en fonction de la catégorie d’âge, de la région de résidence et, évidemment, la caisse-maladie choisie.

Car voilà aussi l’un des défauts que le nouveau système ne supprimait pas : la coexistence d’une multiplicité de caisses. Si celles-ci ont bien diminué de plus de moitié en 20 ans, il n’en demeure pas moins que le choix de la caisse reste une variable qui a son poids dans la fixation de la prime. L’argument suprême pour maintenir ce système ? La concurrence profitera aux assurés ! … En 1994 déjà, il nous paraissait difficile de croire en les effets d’une concurrence fondée sur un « marché » dont les prestataires offraient tous strictement le même produit : la couverture des soins de base listés dans le catalogue de la LAMal !

Toutefois à la fin du XXème siècle, le besoin d’avancer dans un domaine dont le système ne donnait pas satisfaction et qui excluait encore une part importante de la population des soins l’emportait. Le statu quo était devenu impossible. Le PS ne retira pas son initiative pour « une saine assurance maladie » et a soutenu également, de manière subsidiaire, le projet LAMal. La gauche se rallia à une position de compromis toute helvétique :  la LAMal l’emportait.

Difficile pourtant, en regardant les 23 ans écoulés depuis l’entrée en vigueur de la LAMal, de prétendre que les craintes liées à son financement et l’absence d’un système totalement solidaire n’étaient pas légitimes. Loin d’apaiser les esprits, l’assurance-maladie n’a cessé, depuis son entrée en vigueur en 1996, d’occuper tant les discussions de comptoir que celles menées sous la coupole fédérale.

Il n’aura fallu que quelques années pour que les premiers bilans commencent à montrer la faiblesse d’un système qui devrait être revu dans son ensemble : du point de vue des primes comme du point de vue de l’augmentation des coûts de la santé.

Le PS revient ainsi, dès le début des années 2000, sur la structure du modèle en proposant, par le biais de différentes interventions et initiatives, d’instaurer un système équitable proportionnel au revenu et une gestion de l’assurance plus efficiente notamment par l’instauration d’une caisse unique.

Que ce soit au parlement ou devant la population, la majorité bourgeoise de ce pays est malheureusement parvenue à repousser ces tentatives d’améliorer le système moyennant les hauts cris alarmistes sur les cataclysmes auxquels il fallait s’attendre si nous révolutionnions la LAMal.

Or, le cataclysme c’est précisément ce qui, par l’immobilisme imposé, est en train de se produire.

Ainsi, pour faire face à l’inexorable progression des coûts de la santé qui ont plus que doublé ces 20 dernières années, ce sont les primes en elles-mêmes qui n’ont cessé de croître.

La prime moyenne (pour autant que ce terme ait réellement un sens) a même subi une pression encore plus dynamique que les coûts de la santé puisqu’elle a été multipliée par 2,6 depuis l’année 2000.

La prime prend ainsi une part de plus en plus lourde dans le budget des ménages dont le revenu, lui, a peu progressé. Une réalité d’autant plus marquée pour toute une part de la classe dite moyenne qui ne bénéficie pas d’aides et qui doit assumer une grande partie ou l’entier des augmentations.

Cette évolution est pourtant contraire à l’esprit de la loi : lors des débats préparatoires, le Conseil fédéral relevait que la part des primes ne devrait dépasser 8 % du budget des ménages… elle est aujourd’hui, en moyenne, de 14 %.

Une moyenne qu’il s’agit, par ailleurs, de prendre avec précaution puisque, selon les régions et la typologie des ménages, cette quotité peut même dépasser les 20 %.

C’est une réalité que la majorité de droite de ce pays peine à entendre. Preuve en est les solutions qu’elle préconise depuis 20 ans et qui se résument par trois constantes : réduction du catalogue de soins, réduction du pouvoir des collectivités au profit des caisses, augmentation de la participation des assurés.

Dernière tentative en date ? L’augmentation des franchises d’assurance-maladie, refusée in extrémis par le Conseil national après un volte-face tout aussi historique que surprenant de la part d’une UDC qui a eu peur du référendum annoncé par le PS.

Mais si la droite s’arrêtait aux faits, elle aurait certainement remarqué qu’aujourd’hui déjà, l’incapacité d’endiguer la hausse des primes induites par le manque de volonté politique, a eu pour conséquence un report de plus en plus important de la charge et du risque sur les assuré-e-s.

Pourquoi cette réalité est-elle si difficile à faire entendre ? Plusieurs explications pourraient être avancées : il y a d’une part des convictions politiques fondées dans la négation de l’importance de systèmes solidaires, et d’autre part, la présence massive des lobbys de la santé et des caisses maladie au sein du parlement induisant une forte capacité à bloquer toute réforme qui pourrait être profitable pour l’ensemble des assuré-e-s.

Quand on reprend l’histoire de la LAMal, comme je viens de le faire, une question légitime qu’on peut être amené à se poser est de savoir si finalement il aurait mieux fallu en rester à l’ancien régime. À mon sens, la seule réponse à cette question est évidemment NON : le principe même de la LAMal de garantir l’accès à des soins de qualité pour toutes et tous est absolument fondamental.

Cependant, penser que nous pourrons aller de l’avant avec des réformettes et un jeu de ping-pong entre bonnes et mauvaises propositions est à mon sens erroné et dangereux.

S’il s’agit urgemment de s’occuper de l’emprise des primes sur les budgets des ménages comme le propose l’initiative « 10 % » lancée par le PS, il faudra également et rapidement se repencher sur l’entier du système afin qu’il soit plus efficace, plus transparent et donc véritablement en capacité d’atteindre l’objectif fondamental qui est le sien, mais qui a été relégué à l’arrière-plan depuis bien trop longtemps par la majorité bourgeoise de ce pays.

Voir aussi :

La LAMal, un projet social torpillé ? Conférence de Ruth Dreifuss le 3 avril à 20h15 Espace TSM à La Chaux-de-Fonds

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